Chapitre 3

enfer.txt : anatomie d’un palimpseste numérique

Louis-Olivier Brassard

Version : 0.1

Gérard Genette décrit ainsi le palimpseste:

Un palimpseste est, littéralement, un parchemin dont on a gratté la première inscription pour lui en substituer une autre, mais où cette opération n’a pas irrémédiablement effacé le texte primitif, en sorte qu’on peut y lier l’ancien sous le nouveau, comme par transparence1.

enfer.txt est le résultat d’une réécriture collaborative tenue à l’occasion d’une foire éphémère sur les mutations du milieu de l’édition, l’Open Publishing Fest, au printemps 2020. Les internautes étaient invités à modifier le texte Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, qu’Abrüpt a également mis à disposition en formats imprimable et EPUB. Il s’agit d’un type particulier de palimpseste, que nous chercherons à étudier comme tel, en regard de ses spécificités propres. Quelle forme prend le «parchemin» sur lequel s’opère la réécriture? Par quelle «transparence» parvient-on à lier les deux textes (l’ancien et le nouveau)? Quel sens peut-on faire émerger de cette activité «palimpsestueuse» (l’adjectif est du cru de Philippe Lejeune, cité par Genette) qui aboutit à une «œuvre réticulaire»? L’une des singularités du projet consiste à déployer une œuvre dont le modus operandi repose sur la modification distribuée et en particulier sur le recours au logiciel Git dans un contexte littéraire. Dans ce chapitre, nous commencerons par un retour sur Git, ce système de versionnement de fichiers utilisé par Abrüpt lors de la phase d’écriture, puis nous examinerons le dispositif éditorial mis en place pour ce projet. Enfin, nous tenterons de confronter notre hypothèse à partir de nos observations: Git proposant une certaine conception de la collaboration (de manière distribuée), les dynamiques de réécriture seront notamment façonnées par les pratiques scripturales embarquées par son protocole. enfer.txt résultant d’un travail d’écriture collaboratif mené en ligne (et de surcroît avec Git), c’est bien plus le processus d’écriture, la construction du palimpseste (qui passe elle-même par une surcouche d’écriture hypertextuelle), que le résultat final (pris isolément) qui suscite un intérêt.

Si nous choisissons de de commencer ce chapitre en citant Genette (dont le sous-titre de l’ouvrage est «la littérature au second degré»), c’est justement parce que le texte à l’étude ne peut être lu qu’au second degré, à la lumière de son statut de palimpseste. Le texte public, celui qu’on retrouve dans l’ouvrage imprimé enfer.txt, ressemble plus à un «cadavre exquis» dont il ne semble pas possible de dégager un cohérence d’ensemble (il n’y en a peut-être d’ailleurs pas), mais c’est justement parce que ce ce n’est pas ainsi – comme un texte statique qui serait ainsi «donné» – qu’il faut le considérer. Il y aurait plutôt, pour reprendre les mots de N. Katherine Hayles, d’autres «stratégies de signification» qui seraient à l’œuvre, qu’une étude spécifique au média permettrait de rendre compte. Soulignons d’emblée qu’il n’est pas notre intention de reléguer «le texte» – dont les frontières avec l’appareil paratextuel sont poreuses – à un rang secondaire. Nous notons qu’il est plutôt encastré dans une relation de signification particulière avec son média et que celui-ci en constitue une «propriété émergente2» – plutôt que «donnée», comme le suggère la linéarité du codex paginé. L’imprimé est «plat», le code est «profond» dit Hayles; dans enfer.txt, l’artefact imprimé «aplatit» le palimpseste dont la richesse, si l’on peut dire, repose justement sur la multiplicité des gestes d’écriture qui le composent, et dont nous suggérons de faire la lecture. On ne peut pas affirmer d’entrée de jeu que le texte est vide de sens, mais plutôt que le paradigme d’interprétation (voire de lecture) doit être déplacé. C’est que la matérialité (certes numérique) se trouve justement sujette «au débat et à l’interprétation3» – et c’est ce déplacement que nous souhaitons opérer dans notre étude. À l’instar de Valéry, nous cherchons à comprendre comment cette dynamique scripturale peut bien «faire œuvre4». Plus précisément, il s’agit de faire la lecture des contributions dans la lorgnette du mécanisme qui a servi à réunir cette réécriture collective: Git.

2.1 Qu’est-ce que Git?

Git, nous l’avons mentionné dans l’introduction, est un système de gestion de versions distribué. Il permet de contrôler l’état d’une arborescence de fichiers, en enregistrant une copie de chaque fichier à chaque étape. Git rend possible la collaboration entre plusieurs acteurs de manière distribuée et asynchrone, c’est-à-dire dans différents lieux à différents moments (plutôt que centralisée et synchrone, c’est-à-dire au même endroit, au même moment). La conception du versionnement qu’on retrouve dans Git donne une primauté au geste de contribution, le commit. Celui-ci constitue alors «l’acte central»5 autour duquel se construit l’historique d’un projet, un commit rassemblant un ensemble de modifications volontaires (par exemple, mettre à jour un fichier existant ou en créer un nouveau). Cette conception de la collaboration diffère fondamentalement du paradigme de l’édition collaborative en temps réel (comme dans la populaire suite bureautique de Google): avant de pouvoir apporter des modifications, chaque parti doit télécharger sa propre copie d’un dépôt (un dépôt n’est rien d’autre qu’un répertoire versionné avec Git), lequel contient l’ensemble de l’historique du projet. Les modifications au projet peuvent alors être effectuées «localement» sur sa propre machine et sans un accès au réseau. Elles peuvent ensuite être mises en commun via un protocole de communication de pair à pair ou via un serveur commun accessible en ligne. Le caractère distribué du systèm de gestion de fichiers qui rend possible la multiplicité des configurations des chaînes de travail basées sur Git. On retrouve ainsi de multiples modèles de gouvernance6 (nous reviendrons sur ce point lors de notre analyse).

Git est présenté comme un dispositif «stupide» pour effectuer le suivi du contenu7. Il se superpose ainsi à une arborescence et permet alors de suivre son évolution. Git s’insère discrètement, voire de manière totalement transparente dans l’arbre de travail en ajoutant un dossier .git à la racine d’un projet (les fichiers et dossiers débutant par un point sont masqués par défaut dans la plupart des postes de travail, étant associés à des configurations logicielles). Les modifications faites aux fichiers sont à tout moment contrôlés par l’utilisateur: Git est ainsi «stupide» qu’il ne prendra pas la décision inopinée de lancer une opération de sauvegarde ou de synchronisation, par exemple, sans que la commande ne lui ait été envoyée.

Examinons brièvement certaines commandes ou verbes qui structurent le travail avec Git. Git sépare très nettement le geste de modification (d’une copie du projet) du geste de synchronisation (entre deux copies de travail, ou plus). Cette séparation permet un contrôle fin à l’égard de la mise en commun des historiques de travail, qui peut être faite complètement ad hoc, et qui n’est pas requise pour continuer à travailler sur une copie du projet. Pour enregistrer l’état d’un fichier modifié, on utilisera le verbe git commit. Le commit est distinct de l’enregistrement d’un fichier sur son ordinateur: alors qu’on peut faire des dizaines, voire des centaines d’opérations d’écriture sur disque (par exemple en utilisant les touches ctrl + s ou utiliser le bouton disquette pour déclencher une sauvegarde en travaillant), le commit permet de marquer volontairement une sauvegarde particulière et de l’enregistrer dans la base de données du projet. Git demande alors de fournir un message résumant les modifications, par exemple: «mise à jour du fichier document.txt», «ajout de références dans la bibliographie», «correction du titre», «application d’une rustine», ou encore «création d’une nouvelle section». Ces messages, d’une étendue et d’une précision tout à fait variables, sont à l’entière discrétion de l’auteur des modifications.

Capture d’écran d’un commit en cours d’écriture. La première ligne contient le résumé des modifications, pour un aperçu rapide. Les lignes subséquentes (3-11) permettent de saisir du texte libre qui décrit les modifications plus en détail, en expliquant par exemple les circonstances qui ont motivé certaines changements.

Le commit, qui constitue l’unité de base de l’historique d’une arborescence, recevra alors un identifiant unique permettant de le référencer. Cet identifiant est un condensat (hash en anglais), une signature numérique obtenue grâce à l’algorithme cryptographique SHA-18. Cette signature est composée d’une suite de 40 caractères hexadécimaux (une plage comprenant les chiffres de 0 à 9 et les lettres de a à f) générée à partir des contenus des fichiers et de l’état temporalisé du répertoire. Le recours à cet algorithme de hachage permet aussi de valider l’intégrité des fichiers en fonction d’un état particulier de l’arborescence: en vertu de l’algorithme SHA-1, l’éventualité que deux commits produisent le même identifiant (on parlera alors de «collision») s’avère pratiquement impossible9.

Capture d’écran d’une liste de commits effectués sur le dépôt Git dédié à l’éventuel ouvrage enfer.txt. On note un abrégé du condensat SHA-1 (les premiers caractères de l’identifiant unique) sur la droite.

Git facilite d’ailleurs la multiplication d’états parallèles grâce à son système de «branches»: l’utilisateur d’une arborescence peut ainsi créer sa propre «divergence» (dans le jargon informatique, on parle souvent de fork, sorte d’«embranchement» ou de «fourche») dans l’historique du projet. Il est tout aussi facile de créer une branche que de la «fusionner» plus tard ou ailleurs dans l’arbre des modifications, grâce aux commits ancêtres dont Git se sert pour réconcilier («fusionner») deux historiques différents.

Capture d’écran d’une visualisation par branches

Couplée à l’un des algorithmes de «diffage10» (qui permettent de comparer deux états d’un même fichier), la fusion (merge) est au cœur de la collaboration avec Git. Elle permet de fusionner deux fichiers modifiés de manière asynchrone (en des temps et lieux différents) par des personnes différentes, et de tenir compte de ces multiples modifications dans un historique commun, sans les écraser. Par exemple, supposons qu’une contributrice Alice apporte des modifications (qui peuvent être des additions et/ou des suppressions) au premier paragraphe d’un texte document.txt et le contributeur Bob apporte des modifications au deuxième paragraphe de sa propre copie du texte: Git parviendra à réunir les deux états du fichier document.txt en un seul en appliquant les changements de manière «chirurgicale», sans empiéter sur les régions d’un texte qui ne seraient pas concernées par les modifications. Si les auteurs effectuent de part et d’autre des modifications concernant une même région d’un texte, Git permet alors de gérer une telle situation comme un «conflit». Dans le cas où Alice et Bob choisissent tous les deux de modifier le titre original TO, ce qui donne les deux états concurrents TA (le titre d’Alice modifié à partir de TO,) et TB (le titre de Bob aussi modifié à partir de TO), Git peut refuser la fusion automatique en requérrant la résolution du conflit. Sans résolution, la mise en commun du travail ne peut aller de l’avant. Il existe plusieurs stratégies ainsi que de nombreux paramètres permettant de gérer la fusion et les éventuels conflits11.

Git possède deux verbes pour effectuer la synchronisation entre deux copies d’un projet: d’abord, git pull pour effectuer le rapatriement (et l’intégration) des modifications distantes; ensuite, git push pour publier ses propres modifications vers un autre emplacement – il s’agira le plus souvent d’un serveur dédié au travail collaboratif (qu’on nomme «forge»). Le découpage de la synchronisation en une séquence de deux étapes distinctes qui doivent être effectuées de manière ordonnée par l’utilisateur (pull et ensuite push) témoigne à la fois de l’asymétrie que représentent ces deux opérations mais aussi de la persistence de la logique interne du protocole dans l’usage du logiciel: si un utilisateur tente de publier des modifications sans avoir préalablement intégré les commits plus récents (des modifications qui ne figurent pas encore dans l’historique de l’utilisateur), Git refusera tout simplement le push. Le système de branches permet néanmoins de travailler sur des copies parallèles qui ont leur propre historique: Git impose de respecter la cohérence interne de chaque ramification – un commit pointant toujours vers un autre commit qui lui est «parent». Git refuse de combiner les historiques qui n’ont pas d’ancêtre commun12. Le découpage de la synchronisation en verbes explicites permet, encore une fois, une prise fine sur l’état d’un répertoire courant, l’utilisateur·trice n’étant pas contraint·e d’altérer sa copie de travail ou d’utiliser sa bande passante à un moment inopportun (en particulier lorsqu’il s’agit de transférer des fichiers très volumineux, ce qui peut être long et empêche de faire opérations avec Git pendant ce temps). On observe ainsi des marques saillantes de la philosophie du versionnement qui est implémentée dans Git, lequel favorise le contrôle distribué au lieu d’imposer la «tyrannie» de la copie unique, le fonctionnement réticulaire avant la centralisation13.

Si nous prenons un moment pour exposer les grandes lignes du fonctionnement de Git, c’est parce qu’il représente le moteur de la collaboration dans le palimpseste à l’étude, mais aussi, comme le soulignent Servanne Monjour et Nicoals Sauret, parce qu’il y a une «coïncidence réussie entre le protocole git et le protocole éditorial14» – une adéquation qui n’est pas fortuite. Le processus d’écriture, ainsi que la forme de publication, reflètent en partie l’usage qui découle de ce système.

2.2 Le dispositif de visualisation et d’écriture

L’installation en ligne, de son nom de code «RIMBAUD.ZAP» (l’acronyme ZAP renvoyant à «zone autonome à poétiser», d’après la fiche descriptive du projet15), propose d’explorer chacun des états du palimpseste à travers ses stades d’écriture. En particulier, l’installation permet de rendre plus ou moins visible le texte de Rimbaud (en noir) et le texte réécrit (en violet) pour une version donnée.

Capture d’écran d’une version du texte. Les opacités respectives du texte original et du palimpseste peuvent être contrôlées par l’utilisateur, grâce aux glissières (dont l’affordance évoque les atténuateurs linéaires, ou faders en anglais, comme ceux qu’on retrouve sur les consoles de mixage pour pondérer des paramètres sonores). Ici, le texte produit par la réécriture en mis en évidence avec une opacité de 100%, tandis que le texte original, dont la glissière de contrôle se trouve sur la gauche, est beaucoup plus effacé.

Abrüpt énonce une seule contrainte quant aux modifications à recevoir: celles-ci doivent viser exclusivement les mots d’Arthur Rimbaud, c’est-à-dire le texte qui n’a pas encore été balisé par des italiques (qu’une coloriation violette accentue visuellement).

Comme dans le monde du graff, pas de toying! On ne touche pas au désordre… on ne fait qu’ajouter du chaos au chaos. De manière pratique, les modifications ne visent que les parties qui ne sont pas en italiques, et les ajouts se glissent avant ou après les contributions en italiques déjà présentes16.

La référence à la culture du graffiti («comme dans le monde du graff») y est explicite. Tout en badinant avec la contre-culture des inscriptions bombées, la maison d’édition énonce le respect d’un certain code d’honneur17 qui accompagne ces œuvres tantôt illicites, tantôt officielles: l’interdiction de faire du «toying», cette pratique généralement condamnée qui consiste à appliquer une signature médiocre, un tag, par-dessus une œuvre existante. La nuance est importante car les frontières de l’inscription et de l’auctorialité sont justement sujettes à interrogation dans ce livre collectif, qu’Abrüpt propose d’ailleurs «de ne pas signer18» (nous verrons qu’il y a, sur ce plan, matière à discussion). L’idée de réécrire le texte Rimbaud par un recouvrement total évoque à la fois démarche du graffeur (ce n’est, il semble, pas immoral s’il ne reste aucune partie visible de l’œuvre recouverte) et la «logique contributive» régissant le fonctionnement de Git, où la «forge» fait référence à la «fusion de toutes les contributions entre elles19». Les multiples écritures qui se superposent à celle de Rimbaud forment un tout à la fois hétérogène et unifié, donnant lieu à ce que Monjour et Sauret qualifient d’«édition totale-collective». L’intention avouée d’Abrüpt dans ses manifestes de contester des notions bien établies comme celle de l’auctorialité (celle-ci étant largement ancrée dans une «conception imprimée de l’édition», ayant favorisé «la singularisation des auteurs20») trouve dans la RIMBAUD.ZAP la matérialisation de son «sujet réticulaire» (l’ensemble des auteurs étant assimilés à la ZAP) et l’émerence d’un nouvel objet littéraire, «cyberpoétique» – un palimpseste numérique qui exploite les potentialités du protocole Git.

La démarche d’Abrüpt est auto-réflexive: elle trouve dans le protocole Git l’«implémentation» de son propre protocole éditorial. C’est grâce à la double écriture, celle du métatexte des verbes Git (du commit en particulier) qui résume ses propres modifications ainsi que les modifications elles-mêmes, qu’Abrüpt donne à voir la dimension structurante du projet, la verbosité de Git invitant à réfléchir à sa contribution en amont, allant à rebours de la tendance à «l’invsibilisation» du médium numérique:

Illustration de cet effacement du medium numérique, la campagne publicitaire lancée il y a quelques années par Wattpad, dont le slogan “Don’t think, just write”, défend la démocratisation d’une écriture créative en ligne, libérée de la contrainte technique. C’est un cheminement exactement inverse que prône la gittérature : pour écrire, pensez d’abord à ce qui vous permet d’écrire21.

«Ne réfléchissez pas, écrivez» enjoignent certains; sauf qu’avec Git, c’est le contraire: il faut prendre en compte la manière dont on va contribuer, en observant les exigences techniques du protocole: il faut d’abord «cloner» le projet (avec l’ensemble de son historique) et en appliquant ses modifications à partir d’un état particulier du texte, puis en rendant visibles ses changements grâce à un message de commit et à une demande de fusion (merge request sur la plateforme GitLab). Cette question est importante, car elle est condition de l’intégration des modifications dans l’historique du projet. Comment rendre celles-ci visibles aux modérateurs, qui ont autorité finale sur l’acte de fusion?

Capture d’écran d’une demande de fusion sur GitLab. L’utilisateur Ann Persson propose d’intégrer une modification (composée d’un seul commit, visible dans l’onglet «Validations») intitulée «Lymphe et liqueur forte.» et accompagnée d’une description qui présente le contenu de la modification. Cette description est particulièrement explicite, en ce sens qu’elle redouble intégralement le contenu de la modification proposée.

La figure 3.4 donne un exemple de contribution qui met en abîme l’écriture de sa propre écriture: la description indique d’abord qu’il s’agit d’un ajout, et non de la réécriture d’un passage par exemple; elle inclut ensuite l’intégralité de l’ajout proposé, ce qui permet de ne pas avoir à parcourir le fichier pour retrouver l’ajout lui-même. En consultant le diff, lequel comporte une suppression et deux additions, on remarque que l’ajout correspond bel et bien à ce qui est présenté dans la description, rédigé sur deux lignes du fichier texte. Cependant, la convention de balisage n’y figure pas, «les mots qui ne sont pas d’Arthur» devant être encadrés d’astérisques (*). La demande de fusion a été intégrée telle quelle par Abrüpt; grâce à la fonction «inspection» (blame) de Git, on retrouve une correction quant au balisage effectuée moins d’une heure après, dans le commit 71be8c29, rédigé par Abrüpt, intitulé «taf: Ann Persson - admin: ajout italiques».

Capture d’écran du diff de la demande de fusion, sur la plateforme GitLab, effectuée par l’utilisateur Ann Persson intitulée «Lymphe et liqueur forte.».

Le recours au psudonymat voire à l’anonymat est resté à la discrétion des parties contributrices, l’auctorialité «symbolique» (la participation volontaire à la réécriture, ou encore à la discussion en ligne dans le salon Gitter, dont l’archive peut être consultée en ligne22) se manifestant à des degrés également variables.

Capture d’écran d’une version du texte, dont le commit est signé par l’internaute «Free_Wifi». Il est possible de naviguer parmi l’ensemble des états, lesquls sont archivés à même l’appareillage HTML.

Le fait que l’exercice soit effectué à même la forge (que constitue la plateforme GitLab) confère au texte un caractère justement «fusionnel». L’une des conditions soulignées par Monjour et Sauret est le «renoncement à l’auctorialité», l’œuvre étant dédiée au domaine public volontaire (d’où la licence Creative Commons Zero, observée entre autres dans le colophon). Renoncement, puisqu’aucun droit n’est retenu sur l’œuvre collective, le concept d’auctorialité étant d’abord fondé sur la propriété23 (laquelle s’accompagne de la perception de droits économiques) et la figure d’auteur (à laquelle on suppose une certaine orignalité, une singularité propre, voire une expression de soi, renvoyant à «l’idée moderne d’individu24»). Ce qui est intéressant, c’est qu’Abrüpt problématise ici très concrètement la notion d’auctorialité, et que cette contestation a des implications politiques particulières. En prenant position contre le culte de l’individu (comme cela a été montré dans l’étude des manifestes), la maison d’édition s’attaque ainsi à l’un des grand «malaises» de la modernité (énoncés notamment par le philosophe Charles Taylor25). Nommant la modernité elle-même, le texte La Transdialectique souligne l’absurdité d’une quête de la vérité qui tourne à vide, propulsée par l’égocentrisme et sa «course à la domination individuelle»:

[L]a transdialectique émerge des formes réticulaires de la technique et renverse avec fracas l’établi moderne. Elle menace l’humain qui se menace lui-même, et c’est la recherche de la vérité qui ne s’y recherche plus, cette quête folle qui caractérise la pensée humaine dans sa violence impératrice. Mue par l’empreinte de l’ego-roi, cette recherche a fabriqué une course à la domination individuelle comme moteur premier de la modernité.

Mais la transdialectique s’arme contre la modernité! Elle invoque d’antiques spectres, les tragiques, se donne pour tâche d’abattre les hiérarchies individuantes, trame un renouveau acentré des valeurs, dont la substance plurielle se rapprocherait des échos de la physique, cette totalité embrassant le réel et laissant paraître des champs obscurs au-delà du réel lui-même26.

La modernité, porteuse d’un individualisme fort qui fait s’effondrer les «ordres anciens», encenserait un «souci de soi démesuré» qui favorise un usage particulier de la raison, ce que Charles Taylor appelle «raison instrumentale»:

Le désenchantement du monde se rattache à un autre phénomène important et inquiétant de l’époque. On pourrait l’appeler la primauté de la raison instrumentale. Par «raison instrumentale», j’entends cette rationalité que nous utilisons lorsque nous évaluons les moyens les plus simples de parvenir à une fin donnée. L’efficacité maximale, la plus grande productivité mesurent sa réussite. […] Nous craignons que des décisions qui devraient être soumises à d’autres critères ne soient prises en termes d’efficacité ou d’un rapport entre coûts et bénéfices, que les fins autonomes qui devraient éclairées ne soient pas éclipsées par le désir d’accroître au maximum la productivité27.

La raison instrumentale, qui se manifeste un peu comme un calcul comptable, dénote surtout une attitude vis-à-vis des êtres et de leur rapport à soi, au point de les réduire comme simples moyens «assujettis à nos fins». Elle érige la rationalité – ou plutôt un usage particulier de la rationalité – en force de décision toute-puissance qui sert d’abord et avant tout les intérêts de l’individu, reléguant les considérations pour le vivre-ensemble ou l’environnement au second plan. Dans ce contexte, l’auteur comme figure vénérée s’inscrit dans la continuité d’un système accordant une importance capitale à l’individu; mais la contemporanéité a largement contesté le génie sur lequel cette figure s’appuie (ou s’est appuyé, comme on en retrouve la mention dans les décrets révolutionnaires de 1791, textes pionniers du droit d’auteur en France). Nombreux sont ceux qui se sont déjà prononcés en faveur de la destitution de la figure de l’auteur, tout comme ceux qui, non sans égard au paradigme bien instauré du droit d’auteur, l’ont encensé28. L’approche d’Abrüpt est toutefois singulière: ce n’est pas au nom du dialogisme bakhtinien (lequel admet que l’auteur est toujours le produit de ses influences) que la figure d’auteur est effacée, mais à celui d’un idéal «transdialectique» qui aplatirait toute hiérarchie non seulement entre les êtres humains, mais entre les êtres tout court. Dans cette utopie radicale, espace, matière et mouvement composent une nouvelle unité qui abolit tout privilège individuel. Elle s’apparente à un posthumanisme qui, non content des catégories conceptuelles élaborées à partir de l’humanisme (et surtout non content de continuer à partir d’elles), cherche à démanteler ses a prioris pour revenir à une philosophie non anthropocentrée – c’est-à-dire sans les biais d’une pensée qui accorderait systématiquement une place privilégiée aux êtres humains. Elle s’oppose radicalement aux courants transhumanistes qui envisagent l’avenir de l’être humain comme étant technologiquement augmenté29 (renforçant le biais anthropocentré, et notamment la domination de l’être humain sur la nature, les autres espèces et même le cosmos – en témoignent l’expression «conquête de l’espace» et le piquetage de drapeaux nationaux sur la Lune). Marcello Vitali-Rosati suggère ainsi, à la lumière des travaux de la physicienne et philosophe Karen Barad et du professeur Cary Wolfe, de parler de «pensée préhumaine»:

Le concept de posthumanisme n’est donc pas une invitation à dépasser l’humain pour aller vers une humanité augmentée – ce qui serait le vœu de certaines interprétations qu’on pourrait qualifier de transhumanistes – mais de questionner la catégorie même d’humain et sa relation avec le non-humain. […] En continuant dans la direction de Barad et de Wolfe on peut donc affirmer que le posthumanisme n’étant pas un dépassement de l’humain pourrait être plutôt pensé comme un préhumanisme, dans le sens où il pointe une dynamique de production de l’humain à partir de relations qui précèdent l’humain30.

L’horizon humaniste envisagé par de ces penseurs n’est pas celui du progrès industriel – en phase avec le prestige accordé au solutionnisme technologique, dont se nourrit d’ailleurs la raison instrumentale – mais une profonde remise en question de ce que signifie le non-humain avant même qu’apparaisse la catégorie d’humain, et en quoi une telle opposition (entre humain et non-humain) peut être dépassée, voire abolie. Il semble qu’Abrüpt, ainsi armé «contre la modernité», aille dans le sens d’une telle pensée préhumaine. La suppression de la figure d’auteur – en tant qu’individu, car c’est véritablement à celui-ci que la transdialectique s’attaque – est près d’être réalisée dans l’écriture d’enfer.txt. Car l’auteur, c’est «Le Réseaü», désignant ici une entité collective regroupant de manière indifférenciée les contributeur·trice·s et l’éditeur. À la fois nom propre et nom commun, c’est encore une fois l’aplatissement hiérarchique qu’une telle expression dénote (aucun individu n’étant crédité plus qu’un autre), accentuant le déplacement idéologique selon lequel la création émane d’une structure complexe et mouvante, plutôt que d’une seule personne isolée. Comme le note Antoine Fauchié en observant une chaîne éditoriale similaire, «tous les contributeurs peuvent être au même niveau: il n’y a pas de changement d’outil pendant les différentes phases de gestion des articles, les modifications sont visibles par toutes et tous31».

Capture d’écran d’échanges du salon en ligne Gitter.

Le souhait de voir émerger un «sujet réticulaire32», un «espace mouvant» (voir la figure 3.7), un «réseau» au sein duquel priment les relations (et non les individus), suppose aussi une reconceptualisation du «Lecteur Modèle» qui, ici, est autant lecteur qu’écrivain: le lecteur du texte de Rimbaud peut à tout moment, grâce à l’installation en ligne proposé par Abrüpt, en créer une «divergence» et effectuer ses propres changements, pour obtenir sa propre version d’Une saison en enfer, puis les suggérer à l’éditeur grâce à l’environnement collaboratif de Git. Si, «pendant les années 1880, des poètes du mouvement décadent s’amusèrent à gonfler artificiellement l’œuvre maigrichonne de Rimbaud, par l’ajout de quelques sonnets de leur propre invention33», on retrouve ici une sorte de dynamique inverse: ce n’est pas l’anonymat alimente l’œuvre de l’individu auréolé, mais plutôt celle-ci qui sert de point de départ à une création cette fois-ci anonyme, car non signée, dont le «génie» est subsumé à l’agitation collective (et qui problématise, non sans provocation, la question du bon goût littéraire – Rimbaud n’était lui-même pas à un scandale près34). Prenant l’exemple du Tiers Livre de l’auteur François Bon, Gilles Bonnet écrit:

Mieux qu’avec un texte, la relecture tend en effet à renouer avec l’écriture comme événement, et donc à régresser jusqu’au geste initial, cette bascule en écriture. Plus qu’un geste d’autorité qui voudrait forclore le sens d’une œuvre, la relecture vient ici rouvrir les œuvres anciennes, «transformer le livre en expérience web ouverte et mouvante». Si la poétique de la relecture, parce qu’elle semble combler d’anciennes vacances, ne faisant qu’indiquer par là même l’incomplétude définitive du texte relu, inachève le texte, et se prête donc à une telle revitalisation tardive, c’est qu’elle croise également l’instabilité du texte numérique liquide, toujours susceptible de modifications ultérieures, «œuvre ouverte, protéiforme et constamment évolutive»35.

La finitude de l’œuvre se trouve ainsi contestée, déstabilisée par une poétique de la relecture – et en particulier une poétique numérique de la relecture, contaminée par certains idéaux du «cyberespace36» – qui s’affranchit du caractère intouchable, voire auréolé, de l’écrivain. Cette poétique de la relecture se transforme en celle d’un hybride «réticulaire», comme le souhaiterait Abrüpt, c’est-à-dire issu d’une hybridation auctoriale entre Rimbaud, l’auteur canonique (dont la mémoire est à la fois célébrée et subvertie) les multiples identités numériques (qui fusionnent sous l’étiquette de la ZAP ou du «Réseaü», cette entité collective marquée de la signature typographique d’Abrüpt). Le lecteur relit un texte qu’il a peut-être lui-même écrit ou qu’il est justement en train de réécrire. On retrouve ainsi la notion de wreader (néologisme en anglais issu de la fusion des mots writer, écrivain, et reader, lecteur), cette figure de lecteur qui exerce aussi, à même le texte lu, un geste d’écriture l’apparentant à l’écrivain. Même le lecteur «tardif», qui découvre le projet terminé, est invité à faire usage des diverses fonctions de l’installation numérique afin de le manipuler (surbrillance variable entre texte initial et texte final, navigation entre les différentes versions), voire à investir les profondeurs paratextuelles (l’historique des contributions révélant les étapes de réécriture) qui composent à la fois la trace, l’archive, et le cœur du texte (composé comme on l’a dit de la fusion de l’ensemble des contributions) pour produire, encore une fois, sa propre lecture.

2.3 Une poétique de la relecture (numérique)

Que reste-t-il symboliquement de Rimbaud dans la réécriture finale? Pas grand-chose sans doute, si ce n’est le fantôme d’un «monument» de la littérature dont l’œuvre a été investie, voire parasitée pour être complètement engloutie – parasitage qui, «loin d’épuiser le texte-hôte, lui insuffle une nouvelle vie37». Cette nouvelle vie, nous soutenons, relève bien plus d’une «poétique du paratextuel» (l’expression est de Gilles Bonnet) que du texte lui-même, car celui-ci, pris isolément, a toutes les apparences d’un cadavre exquis dont on dégage difficilement une cohérence d’ensemble – si ce n’est, justement, à la lumière de son contexte – c’est-à-dire, le texte qui fait ses conditions d’énonciation. Dominique Maingueneau souligne ainsi la relation de récursion entre texte et contexte, l’un renvoyant continuellement à l’envers de l’autre, tel un ruban de Möbius:

Il n’y a plus d’une part un «texte» et, de l’autre, disposé autour de lui, un «contexte». Loin que la prise en compte de la communication littéraire interdise l’accès à ce qu’il y aurait d’essentiel dans l’œuvre, le dispositif d’énonciation apparaît ainsi comme la condition, le moteur et l’enjeu de l’énonciation. […] Le «contenu» d’une œuvre est en réalité traversé par le renvoi à ses conditions d’énonciation. Le contexte n’est pas placé à l’extérieur de l’œuvre, en une série d’enveloppes successives, mais le texte est la gestion même de son contexte. Les œuvres parlent effectivement du monde, mais leur énonciation est partie prenante du monde qu’elles sont censées représenter38.

Le processus d’écriture collaborative, l’acte même de rédaction d’un commit, la teneur de chaque contribution, son rapport à la discussion parallèle dans le salon en ligne – tous ces éléments péritextuels, qui délimitent l’œuvre, finissent par la composer tout à fait, dans une grande courtepointe au style parfois douteux. Celle-ci n’est pas sans évoquer le geste du graffiti (dont on retrouve l’allusion dans les consignes du projet), ce que Marc Jahjah rapproche du geste d’annotation: «L’annotation partage avec les graffiti une autre caractéristique: elle produit du territoire, c’est-à-dire de l’espace habitable.39» Habiter un texte, l’arpenter (grâce au crayon ou la souris), le braconner: tel est le stade ultime de l’appropriation. Présenté comme «zone autonome à poétiser», il ne fait aucun doute que le texte de Rimbaud est alors entendu comme un véritable lieu, au sens spatial et architectural. «L’annotation tient de la prospection de surface comme de la radiographie de l’invisible» écrivait Christian Jacob40, à propos de cette activité scripturale, pratiquée autant par les spécialistes que les amateurs. L’annotation participe d’une certaine fabrique de l’intimité, tissant la relation propre du lecteur au texte et, partant, à la formation du sens:

L’annotation résultant d’une collation gère la lecture parallèle de deux textes, elle enregistre leurs écarts. On voit ici la trace d’une lecture minutieuse, qui a vérifié le texte imprimé ligne par ligne à la lumière de la transcription manuscrite, en souvent chaque mot d’un trait plus ou moins accentué. Un lecteur est passé par là et constate la concordance des deux états du texte. De grands traits de plume partent parfois des lieux problématiques et les relient à la note marginale qui tente de les corriger ou de les compléter. Le texte imprimé est alors déconstruit par une dynamique centrifuge et la densité des notes reflète visuellement sa corruption41.

La réécriture collective déforme, reforme le texte, en dépit d’un «cruel processus d’entropie42», dont les nombreuses traces d’écriture témoignent d’une décomposition du texte d’origine, mais aussi d’une tentative de «restititution» dans le cas des marginalia. Dans enfer.txt toutefois, le jeu consiste à créer un écart irrémédiable, une «corruption philologique43» à la fois totale et réversible. Totale, du fait que le texte d’origine, à terme, doit être complètement réécrit; réversible, néanoins, en recourant à la puissante fonctionnalité de versionnage de Git, ici exploitée pour son potentiel littéraire. Cette singularité mérite d’être comprise dans sa spécificité. Comme l’écrivait Milad Doueihi:

L’innovation émerge de nouvelles pratiques exégétiques (qui sont souvent d’anciennes pratiques mais modifiées par le numérique) déployées au sein de l’environnement numérique, d’où l’importance d’une philologie de la culture numérique. Le travail continu de lecture et d’échange se résume à une forme simple mais transformatrice, celle de la révision44.

La mécanique de Git repose sur l’écart entre deux «états», deux «révisions» justement, d’un même texte. La «gittérature», cette adjonction du logiciel Git à la littérature dont se revendique le projet, trouve son surcroît de sens dans les pratiques scripturales du logiciel, «dans les creux de Git» (l’expression est d’Antoine Fauchié), en particulier à l’échelle du commit qui cristallise de tels états (et qui s’accompagne possiblement d’une note). Ce qui ajoute à la particularité de l’œuvre, c’est qu’elle contienne, dans l’unité de son fichier HTML, l’ensemble des états du texte permettant, grâce à la surbrillance variable, de faire contraste avec son état d’origine. L’intention bien avouée est donc d’investir l’écriture sous toutes ses coutures, y compris (voire surtout) le métatexte de Git, dont le protocole a inspiré la forme même du projet, notamment en rendant possible l’édition décentralisée45. Ce message par exemple, tiré du salon en ligne et écrit par Abrüpt, réitère l’intention de la maison d’édition de faire de chaque geste, qu’il soit considéré comme technique ou non, un geste littéraire:

On peut aussi ajouter un vers de son choix dans le commit. Et à la fin, cela fabrique une sorte de cadavre exquis, mais façon Docteur Frankenstein.

Abrüpt souligne d’ailleurs que ce «cadavre exquis» (celui que composent non des modifications au texte d’Une saison en enfer mais l’ensmble des écritures numériques faisant la fabrique du projet, dont celle du commit) n’en est pas un comme les autres. Bien qu’il soit difficile de savoir à quoi renvoie exactement l’analogie employée («façon Docteur Frankenstein» – le recours à divers morceaux de vivants disparates? la fabrique d’un monstre46? l’autonomisation de celui-ci?), le projet ne fait aucun doute sur sa teneur expérimentale et aux les pratiques du hack, du bricolage, qui caractérisent un pan important de la culture numérique, mais aussi la culture littéraire, en particulier celle des «écranvains», ces auteurs qui, un peu hacker, n’hésitent pas à investir le potentiel des technologies numériques:

L’écranvain fait sienne, de nouveau, la technique de l’essai/erreur, qui définit le bricolage, qu’aucun Philippe Aigrin inscrit dans le titre même de son blog, «Atelier de bricolage littéraire», et dont Sherry Turkle fait précisément le paradigme de la programmation47.

Nous mettons ainsi l’accent sur la poétique du texte, plutôt que le seul «texte» lui-même (lequel, pris isolément, n’a pas beaucoup de sens, comme nous l’avons souligné), en nous intéressant à son architexte, à la manière dont il se tisse:

L’objet de la poétique, disais-je à peu près, n’est pas le texte, considéré dans sa singularité (ceci est plutôt l’affaire de la critique), mais l’architexte, ou si l’on préfère l’architextualité du texte (comme on dit, et c’est un peu la même chose, «la littérarité de la littérature»), c’est-à-dire l’ensemble des catégories générales, ou transcendantes – types de discours, modes d’énonciation, genres littéraires, etc. – dont relève chaque texte singulier48.

Ce qui nous semble faire la littéralité d’enfer.txt, c’est non pas le résultat final, en l’occurrence l’exemplaire imprimé que l’on peut tenir entre ses mains (qui mérite d’ailleurs d’être interrogé), mais bien le processus que l’ensemble de son paratexte invite à lire à rebours de sa publication (en exposant ses «données» et les différents états qui le structurent), texte qui devient aussi le lieu de négociation du sens (comme en témoigne le geste de «pousser» un commit, en tapant la commande git push, permettant de soumettre publiquement ses modifications; «l’utilisateur x demande de fusionner telles ou telles modifications» peut-on lire, à peu près, sur la plateforme GitLab, chaque page de demande de fusion fonctionnant comme un microforum sur lequel il peut y avoir échanges, commentaires et retouches avant la fusion en bonne et due forme des modifications, d’où la commande git merge). Les dynamiques de création du texte sont façonnées par les pratiques scripturales embarquées par le protocole Git, ce logiciel proposant une certaine conception (néanmoins très ouverte) de la collaboration, que nous allons examiner à l’instant.

2.4 Implémentation éditoraile d’un idéal réticulaire

L’un des aspects attrayants de Git concerne la souplesse à l’égard du modèle de gouvernance qu’on souhaiterait mettre en place. Git ne suppose pas, par exemple, qu’une source centrale fasse autorité; en fait, le logiciel supprime cet a priori en rendant toute copie de travail «autonome»: pour travailler sur sa propre copie, Git requiert de télécharger non l’état actuel d’une branche ou d’une version donnée, mais l’historique précédent cette modification, cet historique faisant étant condition nécessaire à la mise en commun de deux arbres de modifications séparées (Git refuse de fusionner deux historiques qui ne sont pas liés par un «ancêtre» commun). Les contributions sont ainsi distribuées plutôt que centralisées par défaut. Cela permet de réintroduire, dans un deuxième temps, le concept d’autorité au moment de mettre en place les conventions de l’environnement de travail. Une telle souplesse dans l’implémentation d’une chaîne éditoriale réticulaire n’est pas sans évoquer l’architecture d’Internet – du moins l’Internet à ses débuts: une véritable toile dont l’absence de nœud central confère à l’ensemble une résilience accrue, aucun point à lui seul ne compromettant le fonctionnement du réseau en entier. Comme nous l’avons mentionné au premier chapitre, un réseau distribué est dit «intelligent à la périphérie» plutôt qu’«intelligent à au centre», ce qui permet à chaque nœud d’avoir «la possibilité d’être créatif et innovant49». Si le processus éditorial n’est pas, comme nous allons le voir, rigoureusement distribué, il semble qu’Abrüpt cherche néanmoins d’en conserver l’esprit.

Avec Git, la création se fait, justement, à la périphérie: chaque contributeur·trice doit d’abord «cloner» un dépôt pour y apporter ses modifications. À terme, c’est une vingtaine de «bifurcations» (ou «divergences») du projet qui ont été créées séparément sur les serveurs de la plateforme GitLab (une pour chaque compte utilisateur), auxquelles s’ajoutent les copies téléchargées localement sur un poste de travail. Le projet a donc existé en plusieurs états d’avancement dans plusieurs emplacements différents, d’où sa nature réellement distribuée; mais ce qui est surtout significatif, c’est que la progression du projet s’est formée depuis la multiplication de ces instances périphériques, donnant ainsi plein sens à ce passage de Manifeste(s) (au pluriel):

[2] La littérature émane de toutes marges.

Le projet de réécriture collaborative incarne cet idéal des «marges» dans une modalité bien matérielle (et non seulemenet symbolique): chaque participant·e a dû créer sa propre copie pour l’éditer séparément, avant de la mettre en commun de manière ad hoc et asynchrone. L’écriture (incluant l’acte de «committer») peut d’ailleurs tout à fait se dérouler hors ligne, ainsi «déconnectée» du réseau au sens matériel. L’état d’un dépôt «local» demeure à tout moment sous le contrôle volontaire de son propriétaire: Git fait ainsi obstacle à un modèle de diffusion «uniforme» comme celui de la radio ou de la télévision, dans lequel chaque terminal affiche simultanément un contenu identique, et où l’information transite uniquement dans un sens – du centre vers la périphérie, jamais l’inverse. Cette caractéristique est cruciale pour permettre le potentiel créatif de la périphérie: la résistance systématique à la centralisation, et par extension à l’uniformisation (esthétique, idéologique, linguistique), restitue l’autonomie et la liberté qui sont condition de possibilité à la diversité des voix, des façons de penser, d’envisager le monde. Dans les faits cependant, le modèle de gouvernance mis en place par Abrüpt mérite d’apporter quelques nuances à ces constats.

Examinons un schéma collaboratif simple: un dépôt commun, central, sert de pivot pour la collaboration. Ce dépôt est généralement hébergé sur un serveur, connecté en permanence, et à vers lequel les contributions affluent en continu. Dans ce modèle de gouvernance, il n’y a peu ou pas d’étape de validation: tout se fait au même endroit, comme l’écriture collective d’un seul manuscrit ou l’action de peindre une murale à plusieurs (voir la figure 3.8).

Modèle de gouvernance horizontal avec un dépôt de référence central.

Bien que ce modèle soit en partie distribué (puisque Git l’impose), l’implémentation choisie relève d’une processus de centralisation, dans lequel un nœud central (le serveur partagé) permet de faire transiter le flux d’information: les dépôts personnels ne communiquent pas directement entre eux, mais toujours par l’intermédiaire du serveur. On retrouve le paradigme du réseau centralisé (figure 3.9).

Schéma d’un réseau centralisé. L’information circule systématiquement par le nœud du centre.

On peut ajouter une couche supplémentaire à ce modèle, celle d’un «gestionnaire d’intégration»: celui-ci accorde ou non la bénédiction aux contributions soumises, leur permettant d’être fusionnées dans le nœud principal. Les parties contributrices tierent par la suite les modifications communes à partir de cette instance canonique, dite «bénie» (figure 3.10).

Modèle de gouvernance avec un serveur béni et gestionnaire d’intégration. Les demandes de fusion sont gérées par un intermédiaire qui a autorité sur la fusion des contributions tierces.

Il résulte de cette convention – car un serveur Git, au sens du logiciel, n’est guère différent d’un poste de travail, chaque dépôt Git étant un nœud comme un autre dans le réseau formé par les dépôts – une asymétrie dans les opérations de push et de pull («pousser» et «tirer»): les changements qu’on pousse prennent la forme d’une demande de fusion et requièrent l’approbation de la part du gestionnaire d’intégration (lequel fait office de «gardien», ou gatekeeper); mais la synchronisation en sens inverse (dont on dit que les modifications sont tirées) se fait directement auprès du dépôt canonique et doit être effectuée régulièrement par les instances périphériques (à moins de chercher à diverger significativement, ce qui est tout à fait possible). Dans le cas du projet «RIMBAUD.ZAP», les parties contributrices correspondent aux comptes GitLab des particpant·e·s, lesquelles soumettent à l’éditeur (Abrüpt) leurs modifications (en ouvrant une merge requests sur GitLab), l’éditeur se chargeant ensuite d’accepter et de fusionner les contributions vers le dépôt antilivre/rimbaud.zap (figure 3.11).

Modèle de gouvernance correspondant à la chaîne éditoriale du projet RIMBAUD.ZAP.

On pourrait conclure que le flux éditorial demeure relativement inchangé par rapport au modèle traditionnel, c’est-à-dire que l’éditeur garde la main sur la publication finale. On comprend sans peine le souhait d’inclure une étape de modération, si permissive soit-elle, ne serait-ce que pour se prémunir contre d’éventuels actes de sabordages (trolling). Cette étape permet également à l’éditeur d’assurer une certaine «intégrité» à la production en s’assurant que la consigne d’écriture («pas de toying») soit respectée et que le texte soit bien balisé, davantage comme un arbitre de bonne foi qu’un censeur véritable. Sauf que – et c’est une différence majeure – le processus éditorial se déroule de manière transparente, exposé sous plusieurs formes tout au long de son élaboration (messages dans le salon de discussion, discussions ciblées sous forme de tickets, l’ensemble des commits), le public étant aussi invité à contribuer via des canaux privés (par courriel par exemple, Abrüpt se chargeant par la suite de transférer la contribution dans le dépôt selon les modalités de Git). Les contributions sont intégrées telles quelles, exception faite de changements mineurs que l’éditeur admet avoir apportés «pour créer une cohérence de l’ensemble, mais surtout une fluidité de la lecture50», comme l’ajustement des temps de verbes. Le cycle de rétroaction (proposition d’une modification et intégration de la modification) est très rapide, en font foi les très nombreux commits et le recours au paradigme de la publication à source unique (single-source publishing) dont les gestes éditoriaux, pérennisés sous forme de scripts informatiques, permettent d’automatiser la mise en forme du palimpseste de manière continue51. Suivant les logiques de la conception logicielle à code source ouvert (open source software, OSS) et de la culture libre, Abrüpt documente même textuellement les étapes nécessaires à la reproduction de la marque typographique dans un logiciel de manipulation d’image:

Et pour le processus open source avec Gimp pour reproduire une telle différence (nous utilisons une version anglaise de Gimp, mais ça ne sera pas trop compliqué de se retrouver dans la version traduite en français):

Bref, il n’y a pratiquement aucune étape qui ne soit pas inscrite à un endroit ou à un autre dans le dépôt, ou encore dans l’un des nombreux fils de discussion. Il est également possible de retrouver l’auteur de chaque fragment du palimpseste en parcourant l’historique du projet, ce que l’éditeur rend évident avec l’installation HTML (voir la figure). Abrüpt a d’ailleurs consigné l’ensemble des participants («vingt et une identités pirates») à même le dépôt Git, dans le fichier outils/participant.e.s/liste.md53, ce qui nuance fois les revendications politiques sur le plan auctorial.

2.5 Conclusion

La réécriture n’est bien sûr pas chose nouvelle, mais elle se trouve fluidifiée par l’outillage numérique, qui substitue aux ratures l’édition à même le fichier. Git facilite la distribution, la circulation et la réappropriation (tout un chacun peut obtenir sa propre copie d’Une saison en enfer, ou encore une copie particulière d’autrui, et distribuer la sienne – Git ne fait pas de distinction entre les nœuds du réseau). On comprend que Git est bien plus qu’un simple «ingrédient», comme l’écrivait Antoine Fauchié54, dans la chaîne de publication: il constitue la fondation qui rend possible l’implémentation d’une vision de la collaboration grâce à son protocole. Son caractère distribué permet à l’éditeur d’éprouver une conception posthumaniste (ou préhumaine), voire postindividualiste (ou encore: «préindividualiste») de la subjectivité déplaçant la notion d’auctorialité vers une dynamique collective, horizontale, et non anthropocentrée qui n’accorde pas une importance supérieure à une entité humaine que non humaine. C’est la créativité périphérique, plutôt que l’expression d’un individu en particulier, qui y est promue sous la forme d’une entité réticulaire, voire cybernétique, et qui met l’accent sur la liberté d’information si chère aux idéaux manifestaires tels qu’énoncés par McKenzie Wark (A Hacker Manifesto) ou John Perry Barlow (A Declaration of the Independence of Cyberspace). Si la méthode employée peut sembler expérimentale pour l’écriture littéraire, les moyens utilisés sont bel et bien éprouvés, en particulier dans l’industrie du développement logiciel. Leur robustesse ont certainement participé à l’étonnante stabilisation de ce «cadavre exquis» à l’écriture pourtant mouvante et dynamique. Expérience peut-être la plus aboutie de son concept d’antilivre, car (relativement) fidèle à ses manifestes (et notamment grâce à l’écriture «en réseau» et le protocole distribué de Git), Abrüpt semble parvenue à faire unité dans la diversité.

Toute création est une recréation, toute invention est un vol. Ensemble, créons, recréons, inventons et volons. Ensemble, nous sommes Arthur Rimbaud. Ensemble, nous sommes absolument modernes55.


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  1. Gérard Genette, Palimpsestes: la littérature au second degré, Paris, Seuil, « Poétique », 1982, 467 p., 4e de couverture.↩︎

  2. N. Katherine Hayles, « Print Is Flat, Code Is Deep: The Importance of Media-SpecificAnalysis », Poetics Today, vol. XXV, nᵒ 1, 2004, p. 67‑90, disponible en ligne : https://read.dukeupress.edu/poetics-today/article/25/1/67/20810/Print-Is-Flat-Code-Is-Deep-The-Importance-of-Media.↩︎

  3. Ibid.↩︎

  4. «Ce qui m’intéresse […] ce n’est pas l’œuvre – ce n’est pas l’auteur – c’est ce qui fait l’œuvre» disait Paul Valéry. P. Valéry, Œuvres, Paris, Gallimard, 1960, vol. II dans la Pléiade, p. 629, (cité dans Alain Strowel, « Liberté, propriété, originalité : retour aux sources du droit d’auteur », dans Boris Libois (dir.), Profils de la création, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, « Travaux et recherches », 2019, p. 141‑165, disponible en ligne : http://books.openedition.org/pusl/12435).↩︎

  5. Stéphane Couture, « L’écriture collective du code source informatique. Le cas du commit comme acte d’écriture », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. VI, I, nᵒ 1, 2012, p. 21‑42, disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2012-1-page-21.htm.↩︎

  6. La page About («À propos») de Git propose quelques schémas de gouvernance possibles. Because of Git’s distributed nature and superb branching system, an almost endless number of workflows can be implemented with relative ease. («Grâce à la nature distribuée de Git et à son système de branches, un nombre presque infini de chaînes de travail peuvent être implémentées relativement facilement.») Voir https://git-scm.com/about/distributed↩︎

  7. La plupart des logiciels utilisés en ligne de commande sont pourvus d’une très brève description (quelques mots) accompagnant leur documentation et qui résume ce qu’ils font. En outre, la commande man <logiciel> permet d’afficher le «manuel d’utilisation» d’un logiciel donné, fonctionnant ainsi comme un aide-mémoire pour retrouver les commandes disponibles. En affichant le manuel d’utilisation de Git, on retrouve, à la ligne réservée au nom: git - the stupid content tracker (littéralement: «git - le traqueur/pisteur stupide de contenu»). Dans la communauté des informaticiens, une telle préface n’est pas nécessairement péjorative, au contraire: dans ce contexte, l’adjectif «stupide» signifie simplement que l’outil peut être manipulé à gré par l’utilisateur, sans interférence ou d’introduction de choix inopiné (par opposition aux dispositifs dits «intelligents» qui intègrent des automatismes pouvant s’avérer indésirables) – il fait simplement ce qu’on lui dit de faire, ce qui réitère son caractère (prétendument au moins) instrumental.↩︎

  8. Conçu à l’origine par l’agence de sécurité nationale américaine NSA, l’algorithme SHA-1 est un standard publié par la NIST dont l’usage n’est plus recommandé. L’agence, ainsi que plusieurs acteurs du domaine technologique, rcommandent deplus plusieurs années d’utiliser les moutures ultérieures de l’algorithme, SHA-2 et SHA-3.↩︎

  9. Dès 2005, les chercheurs Wang et al. (« Finding Collisions in the Full SHA-1 », dans Victor Shoup (dir.), Advances in Cryptology – CRYPTO 2005, vol. MMMDCXXI, Berlin, Heidelberg, Springer Berlin Heidelberg, 2005, p. 17‑36, disponible en ligne : http://link.springer.com/10.1007/11535218_2) découvrent des vulnérabilités significatives dans SHA-0 et suggèrent des pistes théoriques pouvant mener à d’éventuelles «collisions» pour SHA-1 (une collision représente ici la même signature pour deux documents différents). En 2011, la NSA a déclaré que l’algorithme n’était plus considéré comme sécuritaire pour le cryptage de documents (bien qu’aucune collision de hachage n’ait encore été observée). Un groupe de chercheurs découvre, en 2017, ce qui est réputé être la première véritable collision pour SHA-1 (deux documents PDF, contenant chacun une image différente, produisant la même signature), au terme d’efforts particulièrement intensifs (Marc Stevens et al., « The First Collision for Full SHA-1 », dans Jonathan Katz, Hovav Shacham (dir.), Advances in Cryptology – CRYPTO 2017, vol. 10401, Cham, Springer International Publishing, 2017, p. 570‑596, disponible en ligne : http://link.springer.com/10.1007/978-3-319-63688-7_19). De telles circonstances montrent que l’usage de SHA-1 au sein de Git demeure peu inquiétant (Git intégre des métadonnées au condensat SHA-1, ce qui le rendrait encore difficile à «attaquer» sur ce plan, d’après l’auteur de Git, Linus Torvalds (Liam Tung, « Git’s Move Away from SHA-1: Version 2.29 Brings Experimental SHA-256 Support », ZDNET, 2020, disponible en ligne : https://www.zdnet.com/article/gits-move-away-from-sha-1-version-2-29-brings-experimental-sha-256-support/)).↩︎

  10. Git propose plusiurs méthodes non équivalentes afin de comparer des arbres entiers ou des fichiers individuels (en traitant certaines modifications comme signatives ou non, telles que l’ajout de lignes vides ou les retours de chariot). Voir https://git-scm.com/docs/git-diff-tree#Documentation/git-diff-tree.txt—diff-algorithmpatienceminimalhistogrammyers↩︎

  11. Pour une lecture approfondie sur les stratégies de fusion, voir la section 7.8 du livre Pro Git, disponible en ligne: https://git-scm.com/book/en/v2/Git-Tools-Advanced-Merging↩︎

  12. Par défaut, Git refuse de combiner deux copies de travail qui n’ont pas d’historique commun, mais il est possible, dans des cas exceptionnels, de le faire avec l’option --allow-unrelated-histories. Voir https://git-scm.com/docs/merge-options↩︎

  13. Bien que qu’une multiplicité de chaînes de travail existent, Git n’en impose pas une plutôt qu’une autre. Git --distributed-even-if-your-workflow-isnt («distribué même si votre chaîne de travail ne l’est pas») retrouve-t-on parmi l’un des slogans sur le site web de Git, pastichant la myriade d’options qui y sont documentées, témoigne de cette intention polyvalente.↩︎

  14. Servanne Monjour, Nicolas Sauret, « Pour une gittérature », XXI/XX Reconnaissances littéraires, nᵒ 2, 2021, p. pp. 237, disponible en ligne : https://hal.parisnanterre.fr/hal-03962836.↩︎

  15. La fiche descriptive peut être consultée sur la page d’accueil du dépôt Git: https://gitlab.com/antilivre/rimbaud.zap ou encore au lien permanent suivant (au commit 427c514d «édition: mise à jour de la description de la ZAP»): https://gitlab.com/antilivre/rimbaud.zap/-/blob/8368ec14bc7bcdab0237997c1158dee41ae4286b/README.md↩︎

  16. Les règles de rédaction peuvent être consultées sur la page d’accueil du dépôt Git.↩︎

  17. Des observateurs témoignent d’un récent changement dans le respect de la règle non écrite «faire mieux ou faire ailleurs», en soulignant la recrudessence de formes de vandalisme (comme l’apposition de «graffitis-vomis» sur des œuvres existantes). Voir cet article.↩︎

  18. Les différents éléments de la proposition peuvent aussi être consultées sur la page d’accueil du dépôt Git.↩︎

  19. Servanne Monjour, Nicolas Sauret, loc. cit.↩︎

  20. Ibid.↩︎

  21. Ibid.↩︎

  22. Le salon de discussion peut être consulté à l’adresse suivante: https://gitter.im/antilivre/rimbaud.zap↩︎

  23. Se définissant par référence à la propriété et à l’originalité, et toujours sur le fond de la liberté (du commerce ou de la création), le droit d’auteur participe à ce que l’on peut appeler «l’expansion de la société des individus (M. Gauchet). L’institution juridique porte les traces de deux formes d’individualismes, l’individualisme possessif inventé par Locke, mis en œuvre à la Révolution française, et l’individualisme expressionniste dont la source, déjà présente dans la pensée des Lumières, se trouve dans le Romantisme, notamment de J. Herder (Alain Strowel, loc. cit.).↩︎

  24. Charles Taylor, Le malaise de la modernité, trad. de Charlotte Melançon, Paris, Cerf, « Humanités », 1994, 125 p., disponible en ligne : (page consultée le 17 juillet 2023).↩︎

  25. Ibid., p. 10‑11.↩︎

  26. Abrüpt, « Transdialectique », s. d., disponible en ligne : https://www.transdialectique.org/ (page consultée le 25 janvier 2021).↩︎

  27. Charles Taylor, op. cit., p. 12‑13.↩︎

  28. Alain Strowel, loc. cit.↩︎

  29. Pour un tour d’horizon sur les courants posthumanistes et transhumanistes, voir par exemple l’introduction dans l’ouvrage de Cary Wolfe (What is posthumanism?, Minneapolis, University of Minnesota Press, « Posthumanities series » nº 8, 2010, xxxiv, 357 p., disponible en ligne : (page consultée le 19 juillet 2023)).↩︎

  30. Marcello Vitali-Rosati, Pour Une Pensée Préhumaine, 2018, disponible en ligne : http://blog.sens-public.org/marcellovitalirosati/pour-une-pensee-prehumaine/ (page consultée le 18 juillet 2023).↩︎

  31. Antoine Fauchié, Une réappropriation des données par leur structuration, 2018a, disponible en ligne : https://www.quaternum.net/2018/04/04/une-reappropriation-des-donnees-par-leur-structuration/ (page consultée le 24 juillet 2023).↩︎

  32. À propos du sujet réticulaire, voir le chapitre 1.↩︎

  33. Arthur Rimbaud, Steve Murphy, Œuvres complètes IV : Fac-similés, IV, Paris, Honoré Champion, « Textes de littérature moderne et contemporaine » nº 66, 2002, 703 p.↩︎

  34. «Parmi de nombreux projets, Une saison en enfer est le seul livre que Rimbaud ait mené à son terme: en 1873, le poète considérait cette œuvre comme une sorte de dernière chance dans un monde des lettres qui devait lui inspirer un sentiment double d’attraction et de répulsion. Cet opuscule n’était pas forcément le bienvenu sous la République conservatrice […]. [L]’œuvre, pour scandaleuse qu’elle soit, entend être davantage que cela: un grand moment de littérature. (Yann Frémy, « Une saison en enfer », dans Adrien Cavallaro, Alain Vaillant (dir.), Dictionnaire Rimbaud, Paris, Classiques Garnier, « Dictionnaires et synthèses, 2115-2926 » nº 19, 2021, p. 732‑759)»↩︎

  35. Gilles Bonnet, Pour une poétique numérique: Littérature et Internet, Paris, Hermann, 2017, 368 p.↩︎

  36. Voir par exemple le texte d’anthologie de John Perry Barlow, A Declaration of the Independence of Cyberspace, disponible en ligne: https://www.eff.org/cyberspace-independence↩︎

  37. Gilles Bonnet, op. cit., p. 87.↩︎

  38. Dominique Maingueneau, Le discours littéraire : paratopie et scène d’énonciation, Paris, Arman Colin, « Collection U. Lettres », 2004, 262 p., disponible en ligne : (page consultée le 20 juillet 2023).↩︎

  39. Marc Jahjah, L’annotation comme graffiti (1) : marcheurs et visiteurs dans les espaces numériques, 2017, disponible en ligne : https://marcjahjah.net/1372-lannotation-a-lecran-graffiti-1-introduction (page consultée le 5 mai 2021).↩︎

  40. « Périples de lecteurs. Notes sur Athénée », dans Jean-Marc Chatelain (dir.), Le livre annoté, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1999, p. 92.↩︎

  41. Ibid., p. 23‑25.↩︎

  42. Ibid., p. 25.↩︎

  43. Ibid.↩︎

  44. Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 2011, 177 p.↩︎

  45. L’un des messages d’Abrüpt dans le salon de discussion cite, comme inspiration, l’un de leurs précédents projets, paru quelques jours avant la tenue de l’atelier, qui propose une expérimentation littéraire entre des outils informatiques, dont Git et le langage de scriptage Bash, nommée La gittérature. L’adresse citée st la suivante: https://gitlab.com/antilivre/gitterature/↩︎

  46. «À présent, déjà 16 participant.e.s ! Nous sommes 16 autrices et auteurs à avoir fabriqué du monstre ! Merveille !» annonce Abrüpt, le 24 mai 2020, dans le salon de discussion.↩︎

  47. Gilles Bonnet, op. cit., p. 227.↩︎

  48. Gérard Genette, op. cit.↩︎

  49. Dominique Cardon, Culture numérique, Paris, Presses de Sciences Po, « Les petites humanités », 2019, 432 p.↩︎

  50. Le texte de l’éditeur quant aux corrections se trouve au ticket 17: https://gitlab.com/antilivre/rimbaud.zap/-/issues/17↩︎

  51. Pour une étude approfondie au sujet de chaînes éditoriales numériques et notamment au recours au paradigme de publication à source unique, voir Antoine Fauchié, Vers un système modulaire de publication : éditer avec le numérique., Enssib, 2018 1.1 éd., 139 p., disponible en ligne : https://memoire.quaternum.net/ (page consultée le 18 mars 2019), en particulier le chapitre 3.2 «Les principes d’un nouveau modèle».↩︎

  52. On peut consulter le fil de discussion concernant la marque typographique sur la page dédiée au ticket: https://gitlab.com/antilivre/rimbaud.zap/-/issues/15↩︎

  53. On peut trouver curieux, ou non, qu’Abrüpt ait placé la liste des «participant.e.s» dans le répertoire outils/ (au même niveau que des scripts et fichiers informatiques). On peut s’interroger si ce choix ne représente pas un désir de mettre les langages de programmation, le dispositif et les sujets auteurs sur un même plan ontologique, de manière cohérente avec l’«horizontalité» énoncée dans la Transdialectique (manifeste étudié au chapitre 1).↩︎

  54. Antoine Fauchié, Git comme nouvel ingrédient des chaînes de publication, Montréal, Canada, 2018b, disponible en ligne : http://presentations.quaternum.net/git-comme-nouvel-ingredient-des-chaines-de-publication/.↩︎

  55. ZAP, enfer.txt, Internet & Zürich, Abrüpt, 2022, 120 p., disponible en ligne : https://abrupt.cc/zap/rimbaud/, quatrième de couverture.↩︎